Échos d'Évangile

Aimer ses ennemis et prier pour eux

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Par André Myre

Échos d'Évangile

18 août 2021

Crédit photo : Chris Liverani / Unsplash

[Q 6,27.28.35] Encore faut-il avoir des ennemis

 

Dans la source Q, les premiers mots de Jésus portent sur la pratique chrétienne. De 6,20 à 49, la Source présente une suite de quatorze courtes paroles qui font le tour de la question : deux fois sept (le chiffre parfait), tout est dit. Je note tout de suite une caractéristique – pour nous peut-être surprenante – de ces textes, à savoir qu’il ne s’y trouve rien de spécifiquement religieux : rien sur le culte, la liturgie, la synagogue, le Temple, le sacerdoce, la morale, les Dix commandements, la foi, la résurrection, le salut, etc.

On y parle, certes, de Dieu, une seule fois cependant, dans l’expression «régime de Dieu» (6,20), en précisant bien qu’il ne s’agit pas de n’importe quel Dieu, mais du «Parent» (vv 35.36). La prière est elle aussi mentionnée une fois, mais dans un contexte très surprenant (v 28) puisqu’elle a en vue les adversaires. L’intérêt de la Source est de tracer, à l’intention des siens, la ligne de leur vie en société.

Après les «Béatitudes», texte fondamental, Q a donc cru bon de traiter de l’«Amour des ennemis» :

 

Q 6, 27 Aimez vos ennemis,

28 et priez pour ceux qui vous pourchassent,

35 vous deviendrez ainsi les enfants de votre Parent,

qui fait lever son soleil sur méchants et bons,

et fait pleuvoir sur justes et injustes.

 

Agir dans la ligne de l’évangile

 

On se souvient que la Source avait adressé la quatrième et dernière béatitude aux membres de sa communauté qui étaient «pourchassés» (v 22). Elle traite ensuite de l’attitude à avoir vis-à-vis des poursuivants, qu’elle assimile aux «ennemis». Il faut noter dès maintenant le contexte qui ressort de ces deux premières paroles, et que nous retrouverons dans la prochaine (6,29), celui de tensions sociales, provoquées par l’agir dans la ligne de l’évangile. Il fallait que le problème soit aigu, pour en traiter aussi tôt dans la présentation de la pratique chrétienne, et qu’il apparaisse comme une donnée permanente de sorte qu’avoir des ennemis puisse être présenté comme chose normale.

La parole exprime l’objectif de la vie chrétienne (v 35a), et deux comportements qui permettent de l’atteindre (vv 27-28). Le but est que les partisans «deviennent enfants de leur Parent». Or, la caractéristique fondamentale du Parent en question, cela sera dit au centre du document (10,21), est qu’il se cache du grand monde et qu’il se fait connaître des petites gens.

Ici, cependant, il se trouve un autre aspect de lui qui est souligné : dans l’Histoire, comme dans le cours de la nature, le Parent n’intervient pas pour récompenser qui lui plaît, ou pour punir les autres. Les exemples qui sont donnés présentent le côté favorable de la nature : soleil et pluie nécessaires aux récoltes, et donc à la poursuite de la vie sur terre pour tout le monde.

 

Le pardon a qui le réclame

 

L’Histoire n’est pas le moment de la manifestation des vies réussies ou ratées, bonnes ou méchantes, justes ou pas. Il ne serait donc pas correct que les enfants de Dieu entreprennent de faire ce que même leur Parent ne fait pas. L’ennemi, quel que soit ses crimes, a le droit de vivre, et quiconque fait partie de la famille du Parent doit le traiter comme l’être humain qu’il est toujours – ce que signifie l’appel à l’«aimer» (v 27).

Il faut cependant noter ici qu’il n’est pas sans importance de faire bien attention aux mots que l’évangile utilise. Par exemple, il n’y est jamais question de «pardonner» à l’ennemi. Dans l’évangile, en effet, le pardon s’exprime à l’occasion d’une démarche interpersonnelle, au cours de laquelle l’offenseur vient demander pardon à la personne à qui il a fait du tort (Mt 5,23; Mc 11,25).

Le pardon est donc accordé à qui le réclame, pour rétablir la relation brisée. L’ennemie, par contre, est la personne (ou l’institution, ou la nation…) nullement intéressée à se faire pardonner. En conséquence, le pardon n’étant pas un geste à poser dans le vide, les partisans sont invités à prier pour leurs ennemis, et non pas à leur pardonner.

 

S’approprier de la prière

 

L’appel à la prière est intéressant à plus d’un titre (v 28). Dans le Proche-Orient ancien, comme dans la Bible en général, le concept de prière désigne une activité dont le souverain est le premier responsable. Comme il a la charge de gouverner le peuple, il doit entretenir de bonnes relations avec la divinité, pour que les frontières soient protégées des invasions ennemies, que la nature soit favorable, que les épidémies et pandémies soient évitées, etc. Il remplit sa fonction en instituant un réseau d’officiels, chargés de prier en son nom aux intentions du peuple, dans les lieux appropriés qu’il a fait construire.

La prière est donc une activité réservée à des experts en la matière, que les gens vont trouver pour qu’ils transmettent leurs demandes à la divinité. Or, il est caractéristique du Jésus des évangiles que d’avoir arraché la prière des mains des experts pour se l’approprier, et d’avoir cherché à mobiliser les siens pour qu’ils fassent de même.

Aussi entend-on l’écho de sa voix dans l’interpellation lancé à ses partisans au v 28, afin qu’ils prient pour ceux qui s’en prennent à eux. Voilà un genre de prière inconnu du Temple ou des assemblées synagogales. La formulation est d’ailleurs assez unique dans les évangiles, où la prière «pour» quelqu’un est pour ainsi dire inconnue.

 

Prier et revenir sur le sens de son agir

 

C’est que le but de la prière selon Jésus est d’ajuster la personne aux interpellations de la Voix qui lui parle de l’intérieur. Même s’il semble avoir en vue un autre objectif, il en est ainsi dans le texte de la Source. En effet, en priant pour ses ennemis, la personne doit revenir sur le sens de son agir, sur l’orientation de sa vie, sur la raison des tensions qu’elle fait surgir autour d’elle, des difficultés d’une telle prière, du malaise causé par le triomphe permanent d’un système qui écrase les gens à son profit.

Aimer ses ennemis et prier pour eux sont deux façons de partager le scandale du Parent face à la façon qu’a l’humanité de gérer sa propre existence sur la planète, sa maison. Et, selon la Source, c’est en agissant ainsi qu’on devient «enfant du Parent». Lentement, avec le temps, sans trop sans rendre compte ou sans même le savoir, au rythme de la vie. Les enfants du Parent, dispersés dans les nations, les cultures et les religions, se reconnaissent à leur façon de vivre : ils et elles ont un air de famille.

 

6e texte de la série La Source des paroles de Jésus.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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