Paroles de dimanches

Chamailleries sur la grandeur

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Par André Myre

Paroles de dimanches

16 septembre 2024

Crédit photo : Christian Lendl / Unsplash

Le premier rapporte la deuxième annonce de sa mort, par Jésus, la plus courte de trois, et la fait remonter à une décision des «humains», alors que les deux autres en rendent responsable la Cour suprême de la Judée, le Sanhédrin (vv 30-32). Comme la première annonce, elle sera l’amorce d’une réaction des partisans qui témoignera du fait qu’ils ne partagent pas la façon de voir de Jésus (vv 33-37). C’est l’ensemble des partisans qui, ne tenant aucun compte de ce que Jésus vint de dire, se disputent sur l’identité du grand homme parmi eux, celui qui mérite d’être leur leader.

Une réaction manifestement dérisoire dans le contexte, qui témoigne de l’intention du rédacteur de faire partager à ses lecteurs et lectrices la piètre idée qu’il se fait de la fidélité des partisans de Jésus, et donc de son Église, à suivre le chemin tracé par son seigneur.

 

9,30 Et, étant sortis de là, ils passaient à travers la Galilée, et il ne voulait pas que quelqu’un le connaisse, 31 car il enseignait ses partisans, et il leur disait :

L’Humain est livré aux mains des humains, et ils le tueront, et, ayant été tué, après trois jours il se lèvera.

32 Eux, cependant, méconnaissaient la parole, et ils avaient peur de l’interroger.

 

33 Et ils vinrent à Capharnaüm, et, étant arrivé à la maison, il les interrogeait :

Sur quoi vous objectiez-vous en chemin?

34 Eux, cependant, gardaient le silence, car en chemin ils s’étaient disputés entre eux sur qui était le plus grand. 35 Et, s’étant assis, il réclama les Douze, et il leur dit :

Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous, et le serviteur de tous.

 

36 Et, ayant pris un petit, il le fit tenir au milieu d’eux, et, l’ayant entouré de ses bras, il leur a dit :

37 Qui reçoit un de ces petits en mon nom, il me reçoit, moi. Et qui me reçoit, ce n’est pas moi qu’il reçoit, mais celui m’ayant envoyé.

 

 

Traduction

 

Le connaisse (v 30). Dans la rédaction de Marc, Jésus tient davantage à rester incognito qu’à cacher sa présence.

Vous objectiez-vous (v 33). Ici, les traducteurs attribuent d’ordinaire au verbe grec son sens usuel de «discuter». En Marc, cependant, il signifie toujours une réaction d’opposition à ce que Jésus vient de dire[1].

Serviteur (v 35). Le mot grec est diakonos, ancêtre du terme français «diacre».

Petit (vv 36-37). Littéralement «petit enfant» (paidion), diminutif utilisé pour la fillette de Jaïre, qui a douze ans; ou pour celle de la Syro-Phénicienne; ou pour le sourd-muet épileptique; ou pour les enfants à qui le régime de Dieu est destiné[2]. Le terme est à distinguer des «petits» (mikroi) du v 42, terme qui désigne les gens de la base, le monde ordinaire.

 

Éléments d’Histoire

 

1. La première parole (v 31b) fait partie de la longue histoire de l’interprétation de la mort de Jésus, de laquelle Paul a écrit que les Judéens achoppaient là-dessus, tandis que, pour les étrangers, il s’agissait d’une affaire de fou (1 Co 1,23). En effet, les partisans de Jésus n’avaient pas la vie facile à se situer dans la lignée d’un terroriste légitimement exécuté sur les ordres des autorités judéenne et impériale.

2. L’histoire du morceau central plonge ses racines dans la vie de Jésus. Parmi ses partisans, il avait choisi les Douze pour être à la tête des douze tribus dans le régime de Dieu :

 

Q 22,28 vous qui m’avez suivi, 30 vous siégerez sur douze trônes pour gouverner les douze tribus d’Israël.

 

Dans le régime de Dieu, le pouvoir ne serait pas centralisé à Jérusalem.

3. Quant à la parole du verset 37, elle pourrait refléter l’expérience de Jésus, puis celle des Douze qu’il a envoyés en mission, ainsi que celle des nombreux envoyés qui, par la suite, ont fait circuler le christianisme naissant sur tous les chemins de l’Empire. Ils ont tous rencontré beaucoup d’opposition, mais ont aussi, parfois, été chaleureusement accueillis.

4. Les paroles des vv 35b et 37 ont d’abord circulé de façon indépendante, sans aucun contexte permettant de les interpréter. Puis la première a été située dans un cadre traditionnel, tout en étant adaptée à une situation communautaire (caractère gras) :

 

33a Et ils vinrent à Capharnaüm, et, étant arrivé à la maison,

35a s’étant assis, il leur dit :

Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous, et le serviteur de tous.

 

Plus tard, un scribe a uni la seconde parole à la première en rédigeant le v 36 (caractère gras) :

 

36 Et, ayant pris un petit, il le fit tenir au milieu d’eux, et, il leur a dit :

37 Qui reçoit un de ces petits en mon nom, il me reçoit, moi. Et qui me reçoit, ce n’est pas moi qu’il reçoit, mais celui m’ayant envoyé.

 

Ainsi formé, le passage a ensuite été uni à la suite de paroles contenue dans les vv 38-50; puis, dernière étape, Marc a intégré le tout à son évangile[3].

 

Traditions

 

1. La parole traditionnelle du verset 31b est le fruit d’une réflexion qui élargit la responsabilité de la mort de Jésus au système dans son ensemble («les humains»). Les autorités, tant judéenne que romaine, sont coupables, de sorte que, dans la grande Église, aucune des deux grandes communautés (judéenne ou étrangère) ne peut blanchir les siens et blâmer les autres. Le verbe «livrer» est dit de façon large pour signifier l’ensemble des démarches que le système a entrepris pour se débarrasser de Jésus. La parole est rédigée dans le but que les lectrices et lecteurs, faisant confiance au fait qu’un homme qui avait tout le système contre lui a été réhabilité par Dieu, s’engagent à vivre comme lui. S’ils le font, ils peuvent espérer qu’au Jour attendu, «l’Humain» les évaluera de façon favorable.

2. La parole du verset 35b est une variante de celle que l’on retrouve dans la source Q :

 

Q 13,30 Les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers.

 

Selon Jésus, dans le régime de Dieu, les valeurs sur lesquelles repose le système seront inversées : la base de la pyramide sera en haut, et la pointe en bas; aussi, dans les banquets officiels, les petits seront-ils assis à la table d’honneur, et les grands loin derrière. De plus, à l’intérieur du premier groupe, la même logique prévaudra : les leaders seront tirés des moindres de ceux-ci (v 35). C’est une façon de dire que l’oppression montée en système, dont l’Histoire témoigne de la permanence, n’aura pas le dernier mot, et que ceux qui en auront profité ne l’auront fait que pour un temps. Cela, les grands et les experts l’ignorent, tandis que les petites gens le savent puisque le Parent ne cesse de le leur révéler (Q 10,21). La parole est typique de la façon dont Jésus voyait les choses.

Dans le cours de sa transmission, la parole de Jésus a été utilisée par un scribe chrétien, lequel a jugé bon de l’insérer à l’intérieur d’un itinéraire de Jésus mentionnant Capharnaüm (vv 33a.35a). Tout en rapportant la parole traditionnelle, le rédacteur lui ajoute sa propre ligne d’interprétation (en caractères gras) :

 

35b Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous, et le serviteur de tous.

 

Le scribe s’adresse à une communauté située en milieu hellénistique. En effet, alors qu’en milieu judéen, les Églises étaient dirigées par un groupe d’anciens, il s’est développé, en dehors de la Palestine, une structure de gouvernement ecclésial faite d’un surveillant ou superviseur (episkopos en grec) assisté de serviteurs (diakonoi)[4]. La parole formule une condition d’accession au leadership du groupe : quiconque aspire à le diriger doit se considérer comme le dernier de ses serviteurs. La parole vise à contrer l’accès au leadership de candidats autoritaires, de même que l’exercice du gouvernement selon la logique courante du pouvoir[5]. L’application à la communauté chrétienne de la parole fondée en Jésus lui révèle qu’elle n’est pas immunisée contre les maux qui affligent la société, et qu’elle doit constamment se méfier de la tentation de reproduire en elle les modes de fonctionnement du système plutôt que ceux du régime de Dieu.

3. Par après, un scribe, qui avait reçu la petite scène précédente, lui a ajouté une suite. Il disposait d’une parole typiquement chrétienne sur le thème de l’«envoyé». Ceux que la communauté «envoyait» poursuivre l’enseignement de Jésus, en gestes et en paroles, y étaient appelés «petits (enfants)». Il s’agissait de gens de la base, pacifiques et sans défense, envoyés «comme des agneaux chez les loups» (Q 10,3). Pour unir les deux scènes, le scribe attribue à Jésus l’initiative de demander à un des petits – censés être présents dans la maison avec les partisans – de se tenir au milieu du groupe, pour traiter d’une conséquence de leur mission (v 36a).

La parole traditionnelle traitait de la réception de l’envoyé. Plus haut, en 6,11, Marc en avait rapporté une autre qui indiquait la marche à suivre quand ce dernier était mal reçu. Ici, c’est le cas contraire. Le «petit (enfant)» est bien accueilli parce qu’il est considéré comme le délégué de Jésus («en mon nom»), lequel a lui-même été délégué par son Parent. Jésus est donc le premier envoyé (apostolos en grec, mot qu’en français on peut translittérer en «apôtre», ou traduire par «envoyé»). Le terme est très important dans le christianisme primitif. En vertu de la foi dans la résurrection de Jésus et dans en son élévation à la seigneurie, on considérait qu’il avait été «envoyé» pour faire connaître ce qu’il avait découvert de son Parent à la base de la société; qu’il avait ensuite «envoyé» ses partisans partager la même découverte, puis, qu’après sa mort, il avait continué d’«envoyer» les siens parcourir les routes de l’Empire.

Par conséquent, comme l’envoyé jouissait, selon la symbolique du temps, des mêmes prérogatives que l’envoyeur, recevoir l’un[6], c’était recevoir l’Envoyé par excellence; et recevoir ce dernier, c’était recevoir l’Envoyeur par excellence. Et, enfin, puisque tous ces envoyés avaient été tirés de la base, ou avaient fait la vérité sur eux-mêmes pour avoir été rencontrés par le Parent, ils étaient tous «petits», tant à leurs yeux qu’aux yeux de ceux qu’ils rencontraient. Ce qui révélait donc la grandeur d’un être humain, c’était d’accueillir un de ces petits (enfants), reconnaissant en lui, par le fait même, l’Envoyé et l’Envoyeur par excellence.

Les partisans de Jésus seront donc grands dans la mesure où ils seront fidèles à l’Envoyeur, lequel se révèle aux tout-petits, et leur envoie une série d’humbles serviteurs. Si ces derniers ne cherchent pas à se grandir artificiellement, et s’ils sont accueillis pour ce qu’ils sont, le Parent lui-même trouve une maison où résider avec sa famille. La logique courante du pouvoir et de la grandeur est renversée.

 

Marc

 

Marc est responsable d’avoir placé la suite de paroles, contenues dans les vv 33-50, après la deuxième annonce de sa mort par Jésus. Il ne semble pas en avoir retouché l’ordre. L’essentiel de sa rédaction est contenu dans les vv 33b-34, qui, annoncés par son fameux verbe «interroger»[7], creusent à nouveau l’écart qui sépare Jésus des siens. Au v 35, à partir du groupe plus large des partisans (v 31), Marc fait venir les Douze, parce que la question de la «grandeur» est posée et que la réponse de Jésus est d’intérêt particulier pour les futurs leaders de leur peuple.

Marc situe l’épisode quelque part entre Césarée et Capharnaüm[8]. L’évangéliste précise que Jésus veut voyager incognito. Dans le contexte, cela signifie qu’il a l’intention de corriger l’idée que ses partisans se font de lui, soit un messie tout-puissant. Il se doit donc de les «enseigner» (v 31 a)[9]. Puis, fidèle à l’opinion qu’il a des partisans de Jésus et de son Église qu’ils représentent, il conclut en déclarant que, ne comprenant pas ce que celui-ci leur disait, ils ne voulaient même pas l’«interroger», ayant «peur» de ce qu’il pourrait leur répondre (v 32)[10]. Le morceau d’ouverture contient donc une parole traditionnelle (v 31b)[11] entourée d’un cadre marcien.

À ce point du récit, lecteurs et lectrices auraient pu espérer une certaine éclaircie du côté des partisans, mais l’évangéliste ferme brutalement la porte à leurs attentes : non seulement ceux-ci interprètent-ils mal sa parole, mais ils craignent même les explications qu’il pourrait leur donner. Il y a donc un énorme fossé qui sépare Jésus de ses partisans, et Marc de son Église. La rédaction de Marc a clairement pour but de rendre pitoyable la réaction des partisans de Jésus à la seconde annonce du sort qui l’attend.

Malgré les apparences, la scène qui suit est très importante (vv 33-35), et elle implique beaucoup de monde : la large troupe des partisans est présente, y compris le sous-groupe des Douze, sans compter un certain nombre de «petits (enfants)», parmi lesquels Jésus en choisit un[12]. Sachant que l’ensemble de ses partisans s’opposaient à lui, il les «interroge» sans rien attendre de bon de leur réponse. Et, de fait, laissant de côté ce qu’il venait de leur dire, ils s’étaient disputés sur l’identité du «plus grand» d’entre eux (vv 33b-34). Ayant ainsi précisé le sujet de discorde, Marc fait des Douze les premiers responsables du désastre en cours. Suivant la logique de son texte, l’évangéliste, après avoir mis le doigt sur un problème concernant toute l’Église, se tourne ensuite vers les leaders.

Alors que les dirigeants de l’Église – chacun sans doute à la tête d’une faction[13] – se chamaillent pour accéder au sommet, lieu de l’exercice du pouvoir et de la «grandeur», Marc les met en contradiction avec l’échelle des valeurs de Jésus lui-même. En vertu de sa fidélité qui l’a conduit à la mort, il a été le plus petit de tous, le dernier des serviteurs. C’est pourquoi il a été réhabilité par le Parent et fait «premier» de tous. En conséquence, ne devraient être considérés comme grands dans l’Église que ceux et celles qui se considèrent les plus petits et qui savent reconnaître la grandeur de celles et ceux qui, dans la société, sont les plus méprisés. Marc n’utilise pas cette péricope comme un vague idéal qu’il est parfois bon de se rappeler, mais comme un jugement sévère sur une Église qui a perdu ses repères.

 

Ligne de sens

 

1. Le système a habitué les croyants à lire l’évangile comme un drame qui a été décidé dans l’Au-delà : voyant que l’humanité était irrémédiablement perdue, la divinité, dans sa miséricorde, aurait décidé de la sauver en deux temps : d’abord par l’Incarnation du Verbe qui, en Jésus, a réuni deux réalités jusque-là séparées, soit la nature divine et la nature humaine; puis, par la mort de Jésus sur la croix, le sacrifice de sa vie ayant apporté le salut à l’humanité déchue. Selon cette façon de voir les choses, les forces historiques en présence ne sont que les acteurs inconscients (sauf Jésus) d’un scénario qui a été écrit Ailleurs que dans l’Histoire. Dieu a «livré» Jésus aux mains du système pour que le don du salut soit rendu possible.

S’il est digne de foi, ce scénario n’a rien à voir avec la vision des choses dont témoignent les traditions évangéliques utilisées par Marc. Dans son livre, on ne trouve pas de salut venant d’En-haut et reçu par pure grâce. Ce qu’il présente, c’est l’humanité telle qu’elle s’est structurée, avec un Empire dominant et un petit pays dominé, dans lequel une province cherche à s’assimiler l’autre. Et dans ce petit pays, il y a un homme en quête de liberté, pour devenir l’humain qui, du plus profond de lui, cherche à advenir. Et pour devenir humain, cet homme a dû s’opposer aussi bien aux autorités de Rome qu’à celles de Jérusalem. Ce faisant, il a tracé le chemin du devenir humain et invité ses partisans à l’y suivre.

Mais sur ce chemin, malheureusement, il a trouvé la mort, parce que le système se débarrasse toujours, d’une façon ou de l’autre, de quiconque cherche son chemin en menaçant ses intérêts. Selon la tradition évangélique, c’est le système qui s’est fait livrer Jésus. Dieu n’a «livré» Jésus à personne. Par lui, il a éclairé le chemin pour que Pierre, Caïphe, Hérode ou Pilate deviennent des hommes dignes de ce nom. Et il se réserve le droit, par l’entremise de «l’Humain», de dévoiler un Jour le Sens de l’Histoire. À chaque lectrice ou lecteur, qui ressent l’interpellation de la tradition évangélique, de «voir» si le chemin qui y est tracé correspond à celui que lui présente la Voix qui l’interpelle du plus profond de son être.

2. La Parole de Dieu ne peut être harnachée ou apprivoisée. C’est un torrent qui exige qu’on lui creuse un espace en soi pour le laisser passer. La Parole de Dieu n’est pas une réalité à encenser ou porter à bout de bras pour servir les intérêts des gérants du sacré. L’intelligence de la Parole bouleverse les certitudes, sa liberté chamboule les institutions, sa nouveauté renverse les habitudes, sa subversion dérange les serviteurs du système. C’est parce que Jésus avait entendu la Voix qu’aucune institution ne trouve grâce à ses yeux et que ses partisans ont peur de savoir ce qu’il pense; c’est parce que Marc l’a écoutée qu’il est scandalisé par la surdité et l’aveuglement de son Église. Partout où il passe, le torrent de la Parole de Dieu provoque une rupture qui est de l’ordre de la subversion. Et ce fossé, il ne faut pas chercher à le combler, mais plutôt à le laisser creuser son chemin encore et encore, et s’élargir encore et encore. C’est la seule façon de vaincre la «peur de l’interroger».

3. La ligne de fond du deuxième morceau est que la Réalité ultime, quel que soit le nom qu’on lui donne, vit et se révèle à la base de la société, là où survivent les petites gens. De façon scandaleuse, quiconque la rencontre se fait briser en mille morceaux l’image qu’il ou elle s’était soigneusement donnée pour s’illusionner et tromper les autres, de sorte que l’être humain en sort humilié, rapetissé, ramené aux vraies dimensions de son être, forcé de descendre de son piédestal pour se considérer au bas de l’échelle humaine. Il faut avoir été fait petit pour ne pas faire peur aux petits, pour être accueilli par eux, pour se mettre humblement à leur service et, ainsi, se découvrir en train de devenir un grand être humain. C’est ainsi qu’en réalité, on sauve sa vie en la perdant en apparence. C’est là la cible du devenir humain.

4. Les chamailleries dont parle la péricope font penser aux divisions qui affligent le christianisme. L’évangile pointe dans quelle direction chercher la guérison. Ce qui fait la grandeur ou l’authenticité d’une Église, ce ne sont pas des choses comme la structure de l’institution, que celle-ci remonte ou non aux origines, ni les dogmes, ni les sacrements, ni le culte, ni rien sur quoi leaders et scribes se chicanent, mais la fidélité à servir humblement l’humanité pauvre, malade, opprimée, déplacée, déconsidérée. L’Église existe à la base, là où les humbles partisans de Jésus se reconnaissent comme frères et sœurs, quelle que soit leur dénomination. Là, l’Église est une, sainte, catholique et apostolique, malgré que les leaders se disputent pour savoir qui est le plus grand. Partout où le régime de Dieu est enseigné, au sens marcien du terme, est révélé la faillite du système.

5. Les honneurs, les médailles, les prix, l’exercice du pouvoir, la productivité, la performance, l’excellence, la renommée, la maison à quatre portes de garage, l’auto luxueuse, le gros yacht, les titres, les mitres, les toges, les millions, tout cela n’a rien à voir avec la grandeur. Découvrira sa grandeur, un jour, l’être humain qui, au bout de son histoire, sera accueilli par les petites gens desquels il aura été proche.

 

Notes :

 

[1] Voir 2,6.82; 8,16-17; 11,31.

[2] Voir 5,39-41; 7,28-30; 9,24; 10,13-15.

[3] L’histoire de la péricope, comme c’est le cas pour beaucoup d’autres, ne s’arrête pas là : une quinzaine d’années après la rédaction de Marc, Matthieu (18,1-5) et Luc (9,46-48) ont retravaillé le texte qu’ils avaient reçu de lui.

[4] Le premier témoin de l’existence de ce mode de gouvernance est Paul en Ph 1,1. À la fin du premier siècle, a été mise en place une structure comprenant le surveillant-superviseur, les anciens et les serviteurs (voir 1Tm 3,1-13; 5,17-19 et Tt 1,5-9).

[5] Voir 10,42-44, où le problème est explicitement mentionné.

[6] Les voyages étant chose dangereuse, seuls les hommes se déplaçaient deux par deux, les femmes le faisant en groupe ou en caravane.

[7] Douze fois dans les ch. 8-10 (8,23.27.29; 9,11.16.21.28.32.33; 10,2.10.17). Six fois, c’est Jésus qui se méfie de la réponse qu’on va lui donner, et, quatre fois, ce sont les partisans qui ont des réserves.

[8] Voir 8,27; 9,30.33. Au début de 9,30, le rédacteur fait sortir la troupe de la «maison», où il avait artificiellement situé le dialogue précédent.

[9] Marc se sert de sa formule préférée pour introduire une parole de Jésus : «Et il leur disait» (v 31a).

[10] Au v 32a, si le vocabulaire n’est pas typique de Marc, le contenu l’est, c’est pourquoi tout le verset pourrait être attribué à sa rédaction.

[11] Au début de la parole traditionnelle, Marc a utilisé «l’Humain», titre qu’il affectionne particulièrement.

[12] En montrant un Jésus qui prend un petit et «l’entoure de ses bras», Marc interprète le mot grec paidion au sens littéral de «petit enfant», et prépare10,13-16, où il posera le même geste pour un groupe d’enfants.

[13] Situation similaire à Corinthe, au milieu des années 50 (voir 1 Co 1,10-16, en particulier le v 12).

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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