Paroles de dimanches

Retour de stage

Photo André Myre

Par André Myre

Paroles de dimanches

17 juillet 2024

Crédit photo : Sam Mann / Unsplash

Après l’interlude constitué par la péricope sur l’exécution de Jean (vv 17-29), s’ouvre un ensemble de textes qui contient les deuxième et troisième séries de trois gestes puissants de Jésus (6,30-56 et 7,24-8,9). Celles-ci font monter à neuf le total de ces récits que Marc raconte depuis l’exorcisme de la mer en 4,35-41. La deuxième triade s’ouvre tandis que la troisième se termine sur un partage des pains, les deux encadrant la controverse centrale de 7,1-23.

Pour aujourd’hui, la Liturgie a choisi la péricope (Mc 6,30-34) qui rapporte le retour de stage des Douze, laquelle sert d’introduction au premier partage des pains rapporté par Marc.

 

6,30 Et les envoyés s’assemblent auprès de Jésus, et ils lui annoncèrent tout ce qu’ils ont fait et qu’ils ont enseigné. 31 Et il leur dit :

Allez! vous autres, à l’écart, dans un lieu désert, et reposez-vous un peu.

Car ils étaient beaucoup, venant et s’en allant, et ils n’avaient pas le temps de manger. 32 Et ils partirent dans la barque dans un lieu désert, à l’écart. 33 Et beaucoup les virent s’en allant, et les reconnurent. Et, à pied, de toutes les villes, ils y accoururent ensemble et les devancèrent. 34 Et, étant sorti, il vit une foule nombreuse, et il fut remué par eux, parce qu’ils étaient comme des moutons n’ayant pas de berger, et il commença à les enseigner beaucoup.

 

 

Question d’histoire

 

Le scribe qui a développé le récit primitif du partage des pains en a bien compris la portée, comme le démontre sa rédaction du v 34, à propos du peuple comparé à un troupeau de moutons sans berger. Les gens sont délaissés par les leaders chargés d’en prendre soin. Le rédacteur témoigne donc de sa conviction, faisant suite à son expérience, que l’abandon du peuple par ses élites est une réalité historique permanente. Aussi, selon lui, jour après jour, devra-t-il y avoir douze volontaires, qui accepteront de se charger des douze paniers de restes destinés à nourrir le peuple affamé.

 

Tradition

 

Il faut porter attention à la tradition pour voir comment le sens s’y déploie. La foule est nombreuse et vient de partout, troupeau de moutons sans berger pour prendre soin d’eux (vv 33-35). Les partisans vont souhaiter la laisser à elle-même, mais Jésus les invitera plutôt au partage du peu de nourriture que les gens possèdent (vv 36.38). Ces derniers ont toujours besoin de dirigeants qui, sensibles à leurs besoins, veilleraient sur eux. Malheureusement, ils ont toujours d’autres priorités. Les Douze, au cours de leur stage, devraient avoir appris ça.

 

Marc

 

À l’intérieur de la péricope, la rédaction de Marc est minimale, mais caractéristique. Dès le début, il anticipe la mention du désert et, comme il l’avait fait en 3,20, il parle d’une foule insensible aux besoins de Jésus et de ses partisans (v 31). De ces envoyés, qui sont de retour, il dit qu’ils ont fait des choses et «enseigné» (v 30), façon typique de signifier qu’ils ont posé des gestes parlants. Ils ont donc fait comme Jésus se prépare à faire (v 34). L’essentiel de sa rédaction se trouve cependant plus loin, à l’intérieur du récit de partage, au v 37, alors qu’il reformule le texte traditionnel pour lui faire clairement dire deux choses : Jésus s’attend à ce que les ex-envoyés s’emploient à nourrir leur peuple, tandis qu’eux lui répliquent qu’il leur demande une chose impossible.

Au cœur de ce premier récit de partage, Marc inscrit donc un très grave conflit. Les partisans vont certes distribuer les pains reçus de Jésus (v 41), mais sans vraiment comprendre, et encore moins accepter, le sens que Jésus y voyait (6,52)[1].

 

Ligne de sens

 

1. Il faut une Église, répandue à travers le monde, sur tous les territoires et dans toutes les cultures, pour recevoir de Jésus Christ la tâche d’«enseigner» le régime de Dieu parce qu’aujourd’hui encore le peuple humain a faim et n’a pas de berger qui veille sur lui. Il en sera ainsi tant que pays et dirigeants refuseront de reconnaître que la planète est la maison de l’humanité, et que l’ensemble des ressources appartiennent à l’ensemble des humains, les pays n’étant que des territoires dont une des principales fonctions est d’administrer les ressources qui s’y trouvent au nom et au profit de toute l’humanité. Nul pays – ni aucun être humain – ne peut prétendre posséder à lui seul la moindre parcelle de terre avec les richesses qu’elle contient.

Après avoir prélevé ce qui lui était nécessaire pour subsister, chacun doit retourner l’essentiel du profit qu’il en a tiré à l’unique propriétaire de la terre, l’humanité. Peut-être est-ce là une conception des choses qui n’aura cours que dans le régime de Dieu. Mais d’ici là, les partisans de l’évangile doivent s’activer à «enseigner», en gestes parlants, la radicale illégitimité de toutes les décisions financières, économiques et commerciales qui en font fi. Et vivre en conséquence est la réponse à donner aux appels de Jean et de Jésus à un total changement de vie.

2. Ce qu’on appelle traditionnellement le «salut» est certes de l’ordre du futur. Mais ce futur est à envisager de façon terrestre – comme l’était le régime de Dieu pour Jésus – et se présente comme l’horizon vers lequel marcher. Veiller sur le peuple qui a faim, délégitimer le système monté par les élites à son détriment, contrer le chaos et montrer les fruits du partage, tout cela fait partie de l’«enseignement» appris de Jésus et redonne espoir à un peuple humain démobilisé sur une terre désolée. C’est à cela que l’Église est appelée.

3. Le régime de Dieu s’espère «au désert, à l’écart (v 31)». Car les autres régimes sont nécessairement en guerre contre lui. C’est donc au désert qu’il faut «enseigner» la liberté pour le Tibet; ou le pays pour les Kurdes; ou une nouvelle vie pour les Latinos, ou leur terre pour les Palestiniens, à travers le Mur; ou la dignité pour les Africains par-delà la mer; ou l’égalité pour les femmes derrière le voile, ou devant l’autel; ou la dignité humaine pour les Intouchables; ou le retour chez eux pour les Rohingyas; ou… ou… ou… Les gestes parlants s’adressent à celles et ceux qui en ont besoin pour espérer, et sont posés à l’écart de ceux dont ils menacent les intérêts. L’«enseignement» des partisans de Jésus est très bonne nouvelle pour qui a besoin de l’entendre et fort mauvaise pour les autres. Il ne se fait donc pas sur la place publique. Matthieu l’a dit crûment, et même de façon insultante, dans son Sermon sur la montagne :

 

Mt 7,6 Ne donnez pas ce que vous avez de sacré aux chiens, ni ne jetez vos perles aux cochons[2], ils pourraient les piétiner et se retourner pour vous mettre en pièces.

 

«Acclamons la parole de Dieu» …

 

Notes :

 

[1] J’ai résumé le contenu du récit de partage qui suit la péricope commentée parce que la Liturgie omet de le faire lire au cours des trois années du cycle.

[2] En langage québécois, on parlerait d’«enfants de chienne» et d’«écœurants».

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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