Suggestions de lecture

Tant que le café est encore chaud

Par Sophie Archambault

Suggestions de lecture

28 août 2024

Crédit photo : Sophie Archambault

Le roman de l’auteur japonais Toshikazu Kawaguchi, Tant que le café est encore chaud, publié en 2015, a connu un véritable succès commercial. Vendu à plus d’un million d’exemplaires, ce livre raconte avec délicatesse et douceur les rêves, les regrets, mais aussi le bonheur et l’espoir des gens qui foulent le sol d’un café légendaire.

Le Funiculi Funicula est un café réputé pour ses propriétés pour le moins surnaturelles. En effet, une légende urbaine circule depuis de nombreuses années à son propos. Celle-ci affirme que cet établissement permet à ceux qui le désirent de voyager dans le temps sans que ce périple n’influence leur vie dans le présent. Or, pour ce faire, des règles très précises doivent être respectées, dont la plus importante est celle qui stipule qu’«il faut revenir [du passé ou du futur] avant que le café ne refroidisse.» (p. 48)

Quatre personnages, quatre femmes, feront l’expérience de ce voyage dans le temps. Elles se prénomment Fumiko, madame Kôtake, mademoiselle Hiraï et Kei. Si elles sont d’abord dubitatives face à cette expérience surnaturelle du fait qu’elles ne peuvent pas, grâce à ce périple, modifier leur vie dans le présent, différentes motivations les pousseront néanmoins à distordre le temps. Que ce soit pour retrouver des êtres chers qu’elles ont laissés partir, pour déjouer les défaillances de la mémoire ou pour s’assurer d’un futur lumineux pour ceux qu’elles aiment, ces femmes se rendront bien vite compte que ce café «ne change peut-être pas le présent, mais […] change le cœur des hommes.» (p. 232) En effet, suite à leur singulier périple, chacune des quatre femmes subit une véritable transformation psychologique. Leur présent ne se trouve pas modifié par leur visite dans le passé ou le futur, mais le regard qu’elles posent sur leur vie actuelle, lui, change du tout au tout.

 

Ce délicat roman introspectif est aussi une belle réflexion sur le temps qui passe, et il s’en dégage une douce philosophie qui nous incite à vivre pleinement.

Bernard Babkine, Madame Figaro

 

Ce livre montre bien que l’être humain, par sa force d’âme, peut arriver à surmonter la plus douloureuse des réalités. Le voyage dans le temps, s’il permet tantôt de se vider le cœur, tantôt de revoir un visage défunt ou tantôt de rectifier une situation déplaisante, représente ici l’introspection nécessaire au bonheur de tout être humain.

 

Fumiko

 

Le copain de Fumiko, Gorô, lui annonce qu’il a reçu une offre pour aller travailler aux États-Unis. Trop orgueilleuse pour en discuter avec lui et révéler ainsi entièrement le fond de sa pensée, la jeune femme se referme sur elle-même et l’inévitable finit par se produire : son copain choisit de partir à la poursuite de son rêve américain.

Pleine de regrets, Fumiko voit le café Funiculi Funicula comme son dernier espoir de retourner en arrière pour exprimer ses émotions à son copain. Ce voyage dans le passé se veut finalement un moyen symbolique «de dire à Gorô tout ce qu’elle avait sur le cœur.» (p. 43.) Or, alors qu’elle réussit à retourner en arrière pour discuter avec son copain, elle cesse de se voir comme l’unique victime de la situation et arrive d’autant plus à comprendre l’envers de la médaille en se mettant à la place de Gorô. Les deux amoureux réalisent alors qu’ils souffrent du même mal. Effectivement, pour se protéger, ils se plongent dans un mutisme qui leur évite d’exposer leur vulnérabilité. Leur communication maintenant restaurée par le voyage de Fumiko dans le passé, les derniers mots de Gorô à sa copine suggèrent que, à défaut d’avoir modifié le présent, c’est l’avenir qui les réunira : «Trois ans…, murmura Gorô […]. Attends-moi trois ans… Je te promets que je reviendrai. » (p. 61)

 

Madame Kôtake

 

L’un des clients réguliers du Funiculi Funicula, monsieur Fusagi, souhaite revenir dans le passé pour donner une lettre à sa femme. Toutefois, en raison de son Alzheimer avancé, il a oublié qui elle était. Sa femme s’avère être la personne qu’il pense être son infirmière, madame Kôtake. La dame, qui ne se «remet toujours pas du choc d’avoir été effacée de la mémoire de monsieur Fusagi» (p. 83), apprend alors que ce dernier à une lettre à lui remettre. Elle décide ainsi de prendre les devants et de le rejoindre elle-même dans le passé, alors qu’il avait encore toute sa mémoire, pour connaître le contenu de cette lettre.

Cette fameuse lettre se trouve à expliquer ce que madame Kôtake savait déjà, soit le commencement de la maladie de son mari. Or, monsieur Fusagi y énonce également une vérité que madame Kôtake avait négligée au fil du temps : «Toi et moi, on est un couple. Même si je perds la mémoire, je veux qu’on continue à être mari et femme.» (p. 117) Alors qu’elle jouait le rôle de son infirmière depuis le dépérissement de la mémoire de son mari, madame Kôtake se rend compte qu’elle avait elle aussi oublié quelque chose de fondamental : ce qui les lie, c’est l’amour. Revenue dans le présent, elle s’engage alors à accomplir les vœux de son mari, soit lui rappeler pour toujours la nature de leur relation.

 

Mademoiselle Hiraï

 

Mademoiselle Hiraï, une cliente du café, est un être fondamentalement libre. Alors que ses parents, depuis qu’elle est née, la destinent à reprendre la direction de l’auberge familiale, elle décide de faire autrement et ouvre plutôt son propre snack-bar. En laissant ainsi le bon fonctionnement de l’auberge à sa sœur cadette Kumi, elle est rejetée par ses parents. Kumi, depuis ce temps, se borne à lui rendre visite au café. Pensant que sa sœur ne veut que la convaincre de repenser sa décision, mademoiselle Hiraï se cache constamment d’elle. Or, un jour, après l’une de ses visites au café, Kumi meurt dans un accident de voiture sur le chemin du retour.

Mademoiselle Hiraï, portant sur ses épaules la culpabilité de n’avoir jamais répondu aux visites de sa sœur, retourne dans le passé pour rectifier le tir, pour dire à Kumi «à quel point elle aimait sa sœur. À quel point elle lui était précieuse.» (p. 175) En discutant davantage avec Kumi, mademoiselle Hiraï comprend que sa sœur, loin de vouloir la forcer à reprendre sa place comme directrice d’auberge, voulait simplement lui partager son rêve de tenir l’auberge avec elle. De retour au présent, mademoiselle Hiraï honore le rêve de sa sœur en apprenant le métier d’aubergiste, mais, plus encore, elle se met tranquillement à renouer les liens avec ses parents. C’est en effet ce qu’aurait voulu Kumi.

 

Kei

 

Kei, barista au Funiculi Funicula, a toujours eu une santé fragile. Ayant des problèmes cardiaques importants, il n’est pas rare qu’elle se fasse hospitaliser. Lorsqu’elle tombe enceinte, sa santé s’aggrave rapidement, si bien que les docteurs lui annoncent une nouvelle qui bouleverse sa vie : si elle n’a pas recourt à l’avortement, seulement son enfant vivra. Or, elle ne peut pas se résoudre à interrompre sa grossesse.

Malheureuse à l’idée que sa future fille grandisse sans mère, elle décide d’aller la rencontrer dans le futur. C’est là que, contrairement à tout ce qu’elle aurait pu imaginer, son enfant, Miki, la remercie de lui avoir donné la vie. De retour au présent, Kei est alors sereine face à sa décision. En effet, ce périple, en plus de lui avoir permis de rencontrer sa propre fille, lui a fait prendre conscience du plus important : sa fille était entourée par tous les membres du Funiculi Funicula et, surtout, elle était profondément heureuse.

En suivant les trajectoires de vie de Fumiko, madame Kôtake, mademoiselle Hiraï et Kei, le roman nous donne à lire une histoire sur le pardon et l’espoir, bien sûr, mais avant tout sur les forces de l’amour.

 

À PROPOS DE SOPHIE ARCHAMBAULT

Candidate au doctorat en études littéraires à l’UQAM, Sophie lit et écrit pour mieux saisir l’humain, la société, mais surtout le monde dans lequel elle évolue. Oiseau de nuit, c’est en multipliant des lectures nocturnes sur la spiritualité et le phénomène religieux que son intérêt marqué pour le concept du sacré s’est doucement développé. Amoureuse de la nature et de ses dangereuses beautés, de la mythologie, de l’histoire de l’art et de tout ce qui requiert de la créativité, Sophie prend plaisir à se rencontrer elle-même à travers ces passions pour ensuite mieux s’ouvrir au monde qui l’entoure.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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